Notre patrimoine, notre fierté

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Depuis le 1er avril 2021, suivant l’adoption de la loi 69 par l’Assemblée nationale, les municipalités du Québec disposent de nouvelles responsabilités et doivent s’adapter à un nouveau cadre réglementaire en ce qui a trait à la sauvegarde du patrimoine bâti. Il s’agit d’une première réponse gouvernementale au rapport publié par la vérificatrice générale du Québec en juin 2020. Toutefois, certaines inquiétudes demeurent.

L’enjeu du patrimoine revêt une importance particulière à Québec, le berceau de la francophonie en Amérique du Nord. Avec quatre sites patrimoniaux déclarés comprenant près de 2700 bâtiments, notre cadre bâti et son architecture reflètent plus de 410 ans d’histoire. Il fait partie intégrante du charme et de la renommée internationale de la capitale nationale.

À titre de maire d’une ville du patrimoine mondial de l’UNESCO, ma première préoccupation a toujours été de m’assurer que mon administration suive la voie de l’exemplarité et de l’innovation en matière de gestion du patrimoine.

Des exemples

Voici quelques exemples parmi plusieurs autres investissements que nous avons réalisés afin de requalifier et de mettre en valeur certains actifs patrimoniaux: la transformation de l’ancien temple Wesley en Maison de la littérature, la mise en valeur du site historique et archéologique de l’Îlot des Palais, la rénovation de la maison Dauphine, de la bibliothèque Monique-Corriveau, du bâtiment abritant le Grand Marché de Québec, du couvent de Beauport, de la grange du Domaine de Maizerets et, plus récemment, l’acquisition de la maison Pollack pour la transformer en maison de la diversité.

Sans oublier la création, par l’administration municipale, d’une enveloppe de 30 M$ pour la mise à niveau des huit églises jugées à valeur patrimoniale élevée, et ce, en partenariat avec le ministère de la Culture et des Communications. Ce geste représente une première au Québec.

Plus encore, ces derniers jours, la Ville a fait en sorte de protéger la maison Villeneuve-Renaud, située sur le terrain de la future centrale de police et datant de 1898, en la déplaçant sur un autre terrain à proximité. Une vocation appropriée et des travaux de restauration seront réalisés au cours des prochains mois. De cette façon, la Ville peut réaliser le projet de centrale de police tout en assurant la protection du patrimoine.

Pas uniquement une responsabilité publique

Mais, comme le reconnaît le vérificateur général de la Ville de Québec dans son rapport publié en juillet 2021, la protection du patrimoine n’est pas exclusivement une responsabilité publique. Au contraire, elle est partagée avec l’ensemble des propriétaires de biens immobiliers patrimoniaux.

Comme partout au Québec, mon administration a dû composer, au fil des ans, avec plusieurs enjeux inhérents à la protection et à la mise en valeur du patrimoine, incluant les propriétaires insoucieux, les coûts et la difficile recherche de nouvelles vocations pour certains bâtiments, dont plusieurs ont été laissés vacants trop longtemps.

Or, la vocation d’un édifice patrimonial est tout aussi importante que l’entretien de la pierre pour en assurer la pérennité. L’abandon n’est ni plus ni moins que le pire ennemi du patrimoine et, malheureusement, l’adoption de la loi 69 n’aura pas permis de donner à la Ville de Québec tous les pouvoirs qu’elle aurait souhaité avoir pour intervenir plus efficacement en amont de la dégradation d’un immeuble.

Certes, comme nous l’avions suggéré, l’amende maximale pour une infraction au règlement relatif à l’occupation et à l’entretien des bâtiments pourra maintenant atteindre un niveau équivalent à celui d’une démolition illégale, soit 250 000$. Il s’agit d’une avancée intéressante. Toutefois, les villes devront toujours composer avec d’importantes contraintes.

La première étant que la Ville ne peut évidemment pas se porter acquéreur de tous les immeubles patrimoniaux menacés et, même avec beaucoup de volonté, il s’est avéré très difficile d’intervenir rapidement et efficacement par le passé. La maison Pollack en est un bel exemple. La Ville de Québec a entamé les démarches d’acquisition de gré à gré ou par expropriation en septembre 2017, et ce n’est que trois ans et demi plus tard, le 26 avril 2021, qu’elle en est enfin devenue propriétaire. Il y aura toujours des cas où nous nous buterons à la volonté de certains spéculateurs d’étirer au maximum l’élastique judiciaire, jusqu’à ce que le temps fasse son œuvre et que l’édifice finisse par être irrécupérable.

Une question de coûts

La seconde contrainte, et c’est l’un des principaux enjeux inhérents à la préservation du patrimoine, est la question des coûts. Malgré l’adoption récente de l’Entente de développement culturel entre la Ville et le ministère de la Culture et des Communications et la bonification de l’enveloppe destinée aux programmes de subventions existants, l’adoption de la loi 69 n’était pas accompagnée d’une enveloppe budgétaire suffisante pour pallier les coûts élevés de restauration ni même d’incitatifs fiscaux. Le vérificateur général de la Ville de Québec admet aussi d’emblée que les ressources à la disposition des villes pour aider les propriétaires d’immeubles patrimoniaux sont limitées.

La Ville de Québec se réjouit que le gouvernement du Québec ait favorablement donné suite à sa suggestion de réduire le délai pour entamer les démarches d’acquisition d’un immeuble patrimonial, pour lequel un avis de détérioration a été émis et dont les travaux n’ont pas été effectués à 60 jours.

Il est aussi très important de rappeler que la Ville mise sur un outil unique au Québec avec sa Commission d’urbanisme et de conservation (CUCQ), à laquelle près de 17 000 bâtiments sont assujettis dans le cadre du processus de délivrance des permis de construction.

Cette instance, bientôt centenaire, est composée de six experts en architecture et en patrimoine et de trois membres du conseil municipal qui, ensemble, prennent des décisions sur la base de critères étoffés adoptés par règlement au conseil de la Ville et de l’état des connaissances en patrimoine bâti.

La CUCQ traite, de manière indépendante des instances politiques, pas moins de 3000 dossiers annuellement. Il est déplorable qu’un nouveau cadre législatif provincial ne tienne pas compte de cette spécificité de la Ville de Québec, surtout qu’un important exercice de révision est en cours pour la rendre plus performante et transparente.

À notre sens, confier aux 22 élus du conseil municipal la responsabilité de réviser les décisions des membres de la CUCQ en matière de démolition ne ferait qu’alourdir le processus tout en représentant un risque que des décisions soient prises sur la base de critères arbitraires.

Développer de nouveaux projets

De plus, je veux insister sur le fait que le patrimoine a besoin d’âme et de vitalité pour survivre et s’épanouir. C’est primordial. Cela passe indéniablement par le développement de nouveaux projets, même à l’intérieur du site patrimonial du Vieux-Québec, que l’on ne peut pas placer sous une cloche de verre. Il faudra accepter de faire des compromis si l’on veut attirer plus de citoyens dans le Vieux-Québec et bonifier la qualité des projets qui doivent atteindre un minimum de rentabilité pour se réaliser et être viables.

Cependant, nous aurons également besoin d’une plus grande flexibilité et ouverture du ministère de la Culture et des Communications pour que des projets finissent par se réaliser, sans quoi les terrains et les immeubles vacants risquent de le demeurer longtemps.

La créativité et les investissements de nos partenaires privés qui construisent la ville de demain seront aussi nécessaires. Il faut les inviter à entrevoir la préservation des témoins du patrimoine bâti non pas comme un frein à la mise en valeur de leurs propriétés, mais comme une contribution à la mémoire de nos ancêtres qui ont défriché le territoire, et comme un geste fort pour la collectivité. Les exemples de reconversion intelligente et rentable abondent aux quatre coins de la planète. Il faut juste innover et y croire!

Il faut oser, être créatif et amener le développement à être l’allié de l’entretien et de la mise en valeur de notre patrimoine, de notre fierté et de notre richesse collective.